« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.
L’ouïe et la vue sont soeurs siamoises pour Christophe Chassol. Ses oeuvres sont conçues comme des « Ultrascores », un terme difficile à définir mais qui tend à « harmoniser le réel »en se servant du son de la vidéo pour créer des compositions. Nourri aux atmosphères de West Side Story et Brian De Palma, approché par Franck Ocean ou Solange, il sort cette année un nouvel album. À la fois disque, film et spectacle, Ludi s’inspire du roman utopiste Le Jeu des perles de verre d’Hermann Hesse qui met au point un jeu improbable réunissant les sciences et les arts.
Sur l’invitation du journaliste Richard Gaitet, il s’est prêté à une soirée « jeux » avec le public, retransmise en direct sur Radio Nova, dans le salon de l’Hôtel Grand Amour à Paris. Pour Hit the road, ce sont les derniers mots échangés avec un artiste avant le confinement. Arrêt sur image avec l’énigmatique Chassol.
« J’ai été au conservatoire très tôt. Je me souviens des premières dissonances avec des oeuvres de Prokofiev, et de la beauté des Arabesques de Debussy.»
Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?
J’ai mené une enfance plutôt tranquille dans les Hauts-de-Seine. Mes parents m’ont inscrit au conservatoire très tôt, ce qui m’a apporté un premier bagage musical : j’ai démarré le solfège à cinq ans et le piano à six. Je me souviens des premières dissonances avec des oeuvres de Prokofiev, et de la beauté des Arabesques ou des Préludes de Debussy. Mais ce qui nous a vraiment façonnés, ma soeur et moi, c’est la bande originale de West Side Story, qu’on connaissait par coeur. Plus tard, je me suis beaucoup imprégné des musiques de films d’Ennio Morricone et du rock des Cure. Puis j’ai découvert le jazz de Miles Davis et Chick Corea.
Dernièrement, j’ai écouté en boucle le répertoire de Stephen Sondheim, le parolier de West Side Story qui est aussi compositeur. Il a écrit tout un tas de comédies musicales, notamment dans les années 70-80, et celles que j’affectionne particulièrement sont Company, Into the woods et Sunday in the park with George. Elles intègrent l’esprit de Broadway, mais sur un ton très avant-gardiste. On y entend du parlé-chanté virtuose accompagné d’orchestrations splendides, et des accords un peu pop se mêlent à tout ça. J’adore ! À l’origine, je voulais être compositeur de musiques de films, donc j’en emmagasine énormément. Jerry Goldsmith (La planète des singes, La malédiction…) est pour moi le Dieu suprême du genre. Il a plus de 300 bandes originales à son actif… Le cinéma me semble être la plus belle forme artistique qui soit. On se retrouve à plusieurs dans le noir devant un écran, et là, l’image apparait, un peu comme un feu d’artifice dans la nuit. Le réalisateur qui m’a le plus marqué est sans doute Brian de Palma : la musique, le montage, les split-screen, le suspense, l’érotisme, le voyeurisme, personne ne fait ça mieux que lui. Je suis un fan inconditionnel de son univers.
Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait ?
J’aimerais bien jouer dans une forêt, vaste et belle, comme on en trouve aux Etats-Unis dans les Appalaches. J’improviserais en acoustique au Fender Rhodes avec une chorale qui m’accompagnerait. Dans un autre registre, j’adorerais collaborer avec Jordan Peele (réalisateur de Get out). Il a vraiment un sens musical, ça s’en ressent dans ses films. Ça me plairait de faire quelque chose avec lui. Jouer avec mes idoles, en revanche, ce serait compliqué. Si je devais jouer avec Chick Corea par exemple, je ne serais pas au niveau. Pareil pour les lieux. Avant, je rêvais de jouer dans des salles mythiques, mais à force de tourner, ça m’est passé. J’ai l’impression que d’une salle à l’autre, ça ne change pas grand chose, c’est ton jeu qui compte. Un endroit particulier, en pleine nature, ce serait plus excitant.
As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs?
J’ai un souvenir encore brûlant de la plus vieille ville d’Inde, Bénarès, un lieu funéraire sacré. Les gens viennent y mourir car selon les Hindous, si leur corps est brûlé et les cendres jetées dans l’eau du Gange, ils échappent au cycle des réincarnations. J’ai vécu des moments incroyables là-bas, notamment dans un hôtel qui accueille beaucoup d’artistes, le Ganges View. Un matin, j’y ai entendu M.S. Subbulakshmi, une légende de la musique carnatique qui a chanté à l’unisson avec sa fille pendant près de soixante ans. Ça m’avait réveillé à l’aube, devant le fleuve : écouter de la musique classique indienne face à un tel spectacle, c’était bouleversant.