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3 questions à… Sofiane Saïdi (raï algérien)

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Enfant terrible du raï 2.0, le chanteur algérien Sofiane Saïdi, parisien d’adoption, bouscule avec ardeur les clichés du genre. L’album El Ndjoum, avec lequel il tourne depuis sa sortie aux côtés des musiciens de Mazalda, navigue entre chaoui, funk, synthés et derbouka-beat. Après un retour cet hiver sur sa terre natale pour quelques concerts qui brisent enfin trente ans de silence, il sera aux commandes d’ « Algérie Bélek Bélek », une soirée qui s’annonce incandescente ce samedi 7 mars à la Dynamo de Pantin. Imaginé dans le cadre du Festival Banlieues Bleues, le plateau scénique rassemblera des personnalités emblématiques d’une Algérie connectée à son actualité frénétique autant qu’à son héritage.
C’est lors de notre passage au Festival Musiques Métisses que nous avons remonté avec ce cheikh des temps modernes le fil de ses moultes escales musicales, parcourues ou convoitées.

« Ce que je recherche, c’est cette puissance du son : provoquer un vrai truc en l’autre au point qu’il reste à l’écoute alors qu’il tombe de sommeil. »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?

Je suis né dans l’Ouest algérien, à Sidi Bel Abbès, une petite ville qui a été le berceau de la Légion étrangère mais qui est aussi célèbre pour son rock. Là-bas, même la musique traditionnelle sonne rock. À la fin des années 60, un de mes oncles est parti vivre en Californie. Il était dans une communauté, il croisait des artistes, il a même rencontré Santana. J’étais toujours impatient de découvrir les vinyles qu’il envoyait à mon grand frère : Pink Floyd, Stevie Wonder… Mon père, qui lui était plutôt un épicurien, écoutait tous les soirs des chanteuses comme Oum Kalthoum ou Asmahan. Je n’aimais pas trop jouer au foot comme mes copains, je préférais rester avec lui, calme et apaisé par ces voix. Ce contexte a sans aucun doute affûté mon oreille.

Artistiquement, si je devais choisir, je dirais que deux figures m’ont profondément influencé. Otis Redding d’abord, je ne saurais pas vraiment dire pourquoi, il m’a toujours touché, viscéralement. Et Asmahan, que j’évoquais plus tôt, la soeur du grand virtuose Farid El Atrache. C’était une chanteuse d’une grande beauté, à la voix bouleversante, elle me faisait rêver. Plus tard, j’ai découvert son parcours très singulier. Apparemment elle était agent double, elle travaillait dans les années 50 pour les services secrets français, anglais, égyptiens : un personnage un peu sulfureux en somme ! Ces deux artistes m’ont vraiment montré le chemin.

À une époque, j’ai flirté avec le trip hop, la jungle, et tout ce qui venait de la scène électro britannique. J’ai été amené à collaborer avec Transglobal Underground, Natacha Atlas, Smadj, Speed Caravan, DuOuD, j’adorais ces vibrations-là. Aujourd’hui je suis plutôt sensible à des artistes comme Rosalía. Sa fraîcheur et son énergie sont contagieuses. Donc j’envisage la musique dans toute sa diversité, et les fusions peuvent opérer lorsque l’alchimie prend. J’aime le raï, mais je suis bien sûr attiré par d’autres genres. J’aimerais par exemple faire un duo piano-voix, retrouver quelque chose d’épuré, de fragile. Plus j’avance en fait, et plus j’ai envie de prendre des risques, de ressentir les choses avec une intensité croissante. Je ne suis plus aussi impulsif qu’avant. J’ai besoin de réfléchir, d’être porté par un projet. Un jour, alors que j’étais épuisé par la tournée, j’ai écouté Chopin dans le camion. Et j’ai ressenti tout autant l’envie de dormir que l’émotion éprouvée grâce à la musique, et qui me tenait malgré moi éveillé. C’est ce que je recherche aussi, cette puissance du son : provoquer un vrai truc en l’autre au point qu’il reste à l’écoute alors qu’il tombe de sommeil.

Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait? 

Je rêverais de jouer avec Camarón de La Isla, qui n’a jamais quitté mon coeur. J’admire sa façon de chanter. Je lui aurais montré un certain flamenco oranais. Est-ce qu’il ressentirait que ça fait partie de son histoire ? Je serais curieux de voir comment il entendrait cette musique, ce qu’elle lui évoquerait. On jouerait évidemment en Algérie, ma mère patrie.

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs?

J’ai un souvenir incroyable à Plzeň, en République tchèque. J’étais malade, j’avais un gros rhume, j’ai  proposé à mon groupe de jouer sans moi tant je me sentais mal. Mais la salle était bondée de filles avec des talons qui résonnaient à tue-tête et un parfum envoûtant qui se dégageait de la foule. Ça criait si fort que je me suis repris. J’ai eu du mal à atteindre la scène tellement c’était la folie ! La chute du mur de Berlin était très récente, c’était une découverte de ce pays et de son peuple qui m’a beaucoup marqué.

Il y a un autre lieu que j’adore, c’est le Vauban, à Brest. Un vieux club de jazz. L’endroit idéal pour faire et écouter de la très très bonne musique.

Sofiane Saïdi & Mazalda, El Ndjoum; 2018 / Airfono
© Marion Bornaz
Ry Cooder remet à l’honneur le crooner cubain Ibrahim Ferrer

La voix du crooner de Cuba, feu Ibrahim Ferrer, sera de retour dans les bacs ce 28 février avec la réédition par le label World Circuit de son deuxième album solo Buenos Hermanos. Aux manettes de cette nouvelle jeunesse : le guitariste et producteur américain Ry Cooder, qui fut à l’origine du succès mondial du Buena Vista Social Club.

Ce projet ambitieux, qui a réuni des légendes du son cubain comme Compay Segundo ou Omara Portuondo, a reçu le Grammy Awards 1997 et s’est vendu à près de huit millions de copies dans le monde entier. Ibrahim Ferrer était l’une de ces étoiles oubliées.

Né à Santiago de Cuba en 1927, il se retrouve seul dès l’âge de douze ans et se met à vivre de petits boulots et de chant. Il collabore avec de nombreuses formations, dont celles de Benny Moré et Pacho Alonso, jusqu’au début des années 80 où il prend sa retraite, désabusé. Pour survivre, il cire des chaussures et vend des tickets de loterie. Mais en 1996 il est ramené sur le devant de la scène grâce au projet Afro Cuban All Stars : A Toda Cuba Le Gusta qui précède le triomphe du Buena Vista Social Club. Suivront deux albums solo qui concluront en beauté sa carrière de musicien, Buena Vista Social Club présents Ibrahim Ferrer, et Buenos Hermanos.

Ce dernier opus, sorti en 2003, se pare désormais de nouveaux atours. À l’origine de la première version, Ry Cooder a souhaité aujourd’hui rehausser cet écrin en y apportant des modifications qui le subliment. L’album a ainsi été remixé, remasterisé, et quatre titres inédits ont été ajoutés à l’ensemble dont l’enchainement de pistes a été naturellement repensé. Le disque gagne alors en amplitude, en puissance, et on découvre avec délectation les morceaux jusqu’alors inconnus d’un Ibrahim Ferrer plus romantique que jamais. On retrouve le boléro, cher à cette voix de velours,  avec les langoureux « Ojos Malvados » et « Mujer », deux hymnes à l’amour et aux émois qu’il peut provoquer. Mais le rythme effréné de « Me Voy Pa’ Sibanic » nous rappelle aussi que l’âge du « papi » cubain n’avait en rien altéré son enclin pour les danses endiablées. Quant à « Ven Conmigo Guajira », dans laquelle la guitare de Ry Cooder donne le la, elle revisite un standard de la chanson guajira cubaine avec cuivres, claves, choeur, et autres éléments qui invitent à remonter le temps pour interpréter une danse de salon tendance 2020. « La meilleure version que je n’ai jamais entendue », insiste Ry Cooder. Comptant de prodigieux talents cubains tels que le bassiste Orlando ‘Cachaíto’ Lopez ou le pianiste Chucho Valdés, cet album accueille des artistes plus inattendus comme les voix gospel des Blind Bloys of Alabama ou le trompettiste de musique ambient Jon Hassell.

Un disque aux couleurs sensibles de Cuba, terre de métissage et de fertilité, qui reflète l’harmonie née de ses fêlures et de son énergie contagieuse.

Ibrahim Ferrer, Buenos Hermanos (2020) ; World Circuit/BMG
3 questions à… Delgres (blues créole)

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Delgres, c’est un trio hors norme, la fusion de trois vibrations qui enfantent une musique encore jamais entendue auparavant. Un blues créole au parfum de lutte qui côtoie la Louisiane et les Caraïbes. Avec leur album Mo Jodi, les trois complices ont tourné de par le monde et vécu « sur la route ». Après ce premier succès, ils entament actuellement l’enregistrement de leur second opus. À l’occasion de leur passage au Festival Musiques Métisses, nous avons rencontré ces aventuriers, impatients de poursuivre un chemin déjà si bien tracé.

« Mon rêve, ce serait que dure cette alchimie qu’on a, là,  avec Delgres. Ça m’a pris des années de trouver un truc pareil. »
(Pascal Danaë, chanteur et fondateur de Delgres)

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?

Pascal Danaë (guitare & voix) : J’ai grandi à Argenteuil, en région parisienne. Dans ma famille, on écoutait toutes sortes de musiques : kompa, Gwo Ka, rumba congolaise, salsa. Mon parrain, lui, s’intéressait essentiellement au rock britannique. On naviguait donc entre Célia Cruz, le Franco et l’OK jazz,  Germain Calixte, The Beatles, The Troggs et The Kings. Sans oublier les symphonies classiques et le jazz. Mes soeurs écoutaient James Brown et Aretha Franklin… Il y avait vraiment un foisonnement de styles très différents chez moi ! Mais un jour, mon goût pour la musique africaine a pris le pas sur le reste. Puis je suis parti vivre à Londres. Là-bas, j’ai renoué avec le rock de mon parrain et j’ai plongé dans le blues. Je dirais donc que mes proches ont énormément contribué au musicien que je suis aujourd’hui. Les artistes avec lesquels j’ai collaboré, comme Ayo ou Lokua Kanza, n’ont pas influencé de façon directe mon style mais ça a été une belle aventure d’être dans leur entourage. Ce sont des chanteurs qui ont une belle empreinte vocale, et ça a été instructif de voir comment ils abordaient la scène, l’avant et l’après concert.

Baptiste Brondy (batteur) : J’ai grandi aux alentours de Nantes. Mes influences musicales sont celles des groupes américains des années 90 comme Nirvana ou The Police, et le blues. Mon son s’est ensuite frotté aux rencontres que j’ai faites dans la vie, notamment au contact du groupe Lo’Jo avec lequel j’ai joué assez jeune et beaucoup voyagé. Quand tu t’entends bien avec les gens, ta musique change car tu développes ton écoute, et ainsi ta manière de jouer et de ressentir. C’est surtout ma vie de musicien qui m’a formé.

Rafgee (sousaphone & trompette) : J’ai grandi en banlieue parisienne, dans le 92, et chez moi on n’écoutait pas du tout de musique. J’ai néanmoins des souvenirs marquants, comme la musique du film Le grand bleu : j’écoutais la cassette en boucle ! Plus tard, j’ai autant apprécié Jamiroquai que des orchestres de musique classique, notamment l’Orchestre philharmonique de Vienne, porté par un chef d’exception tel que Leonard Bernstein, qui a un répertoire fabuleux. Delgres est quasiment ma première expérience de groupe. Avant cela, j’ai collaboré avec de nombreux orchestres. Je me limitais à reproduire le plus fidèlement possible les standards du son qu’on nous inculquait. Maintenant, je façonne un son personnel, avec l’humain au centre de tout : c’est une super ouverture !

Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait ?

Pascal Danaë : Je crois que ce serait avec Delgres ! Bien sûr il y a des chanteurs que j’aime beaucoup, comme Francis Cabrel ou Jean-Louis Aubert, avec lequel on a fait un duo. Mais au fond, si tu me demandes vraiment quel est mon rêve, ce serait que dure cette alchimie qu’on a, là, avec Delgres. Ça m’a pris des années de trouver un truc pareil. J’ai la sensation que toutes les influences dont je te parlais tout à l’heure ont enfin trouvé une forme. Pendant longtemps, je me suis senti un peu paumé face à ma musique, alors qu’aujourd’hui je sais que tout ce qu’on fait a du sens. Donc mon rêve ce serait de continuer de jouer avec Baptiste et Rafgee, dans des festivals incroyables, qu’on puisse faire le tour du monde et partager notre musique avec le plus de gens possible. Si j’en avais l’occasion, j’aimerais quand même bien rencontrer l’Ensemble Les Arts Florissants (j’adore la musique baroque), tout autant que le rappeur Snoop Dogg. Et s’ils veulent bien jouer ensemble, je ferais un featuring avec les deux sans aucun problème, et nous au milieu : le rêve !

Baptiste Brondy: Moi aussi mon rêve ce serait de jouer avec Delgres mais cette fois dans une cale de bateau, au fond d’un rafiot allumé à la bougie qui ferait le tour du monde. À chaque escale, on récupèrerait des gens d’un pays différent qu’on emmènerait avec nous jusqu’à la prochaine étape. Ce ne serait alors jamais les mêmes concerts, le public changerait sans cesse. Notre bateau serait une sorte de taxi des mers. J’avoue cependant que j’ai rêvé de jouer avec pas mal d’artistes, j’ose à peine les citer… J’adore la musique folk. Je compose un peu et il y a très peu de batterie dans mes compositions car j’aime le côté soft des musiques et des arrangements. Norah Jones, Rickie Lee Jones ou Joni Mitchell sont des chanteuses qui transmettent des émotions avec très peu. J’aurais aimé jouer avec de telles artistes. Mais je me sens déjà extrêmement épanoui dans notre formation, donc je savoure chaque moment vécu ensemble.

Rafgee : Pour moi c’est un peu pareil : on s’est quand même bien trouvés ! Ce serait génial qu’on aille encore plus loin dans notre son, le rêve se construit et est toujours en cours. Sinon, quand j’étais plus jeune, j’aurais bien voulu jouer avec Prince, mais c’est loupé… Dans un autre registre, si par hasard je le croisais sur un festival, je serais ravi de jouer avec le trompettiste de jazz Wynton Marsalis.

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs?

Pascal Danaë: J’ai un souvenir qui m’a marqué lors de notre tournée aux Etats-Unis en 2017. On est allés dans le Colorado, au Telluride Blues & Brews Festival, dans les montagnes. L’arrivée a été assez cauchemardesque, nos instruments ont été perdus par la compagnie aérienne, mais rapidement tout a été oublié car le lieu était incroyable. Le deuxième endroit que je ne risque pas d’oublier, c’est le désert californien du Joshua Tree Music Festival. La lumière était fantastique, on voyait les dunes à perte de vue, on a éprouvé un sentiment de liberté incroyable. Le lieu impose quelque chose, c’est tellement majestueux ! Quand les gens arrivent dans un espace pareil, ils sont comblés, ils demandent presque à la nature la permission d’être là. Tout le monde étant dans cet état d’esprit, les vibrations sont très très bonnes. En tant que musicien tu n’as qu’une envie, c’est de remercier l’univers et de tout donner pendant ton concert.

Baptiste Brondy : Mon plus beau souvenir c’est sans doute le premier concert qu’on a fait en Guadeloupe, en novembre 2018. On ne savait pas comment on allait être reçus, et Rafgee et moi, qui accompagnons le projet très personnel de Pascal, avions une position particulière. Je ne parlais pas du tout créole au départ, j’aimais cette musique mais je n’y connaissais rien. Vivre cet engouement à travers Pascal et les gens qui nous ont accueillis de façon si chaleureuse a été une grande émotion. Et ça a créé un très beau concert. De façon plus générale, on entend de la très bonne musique au Womad car le monde entier s’y retrouve.

Rafgee : Pour ma part, je conseillerais vivement à tes lecteurs d’aller à la Nouvelle Orléans. Je suis un cuivre, c’est là-bas qu’historiquement le jazz est né, et cette tradition très puissante est toujours extrêmement présente là-bas. On a la chance d’y avoir passé une semaine ensemble avec Delgres. En tant que touriste, c’est fantastique ! Il y a une multitude de lieux à découvrir et des musiciens exceptionnels un peu partout dans la ville.

Delgres, Mo Jodi (2018) / Jazz Village
©Mélanie Elbaz
3 questions à… Muthoni Drummer Queen (Kenya)

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Nouvelle étoile de la scène urbaine kenyane, la ravageuse Muthoni Drummer Queen revient dans son troisième album explosif et engagé, She, sur les combats de femmes du quotidien. Remarquée aussi bien dans des festivals éclectiques comme les Trans Musicales de Rennes que sur les scènes world d’Africolor ou de Musiques Métisses, la jeune chanteuse n’en finit pas de mettre le feu aux poudres avec une tournée qui compte de nombreuses dates dans l’Hexagone. Malicieuse, fougueuse et joyeuse, elle a pris le large le temps d’une discussion avec Hit the road.

« Je rêverais d’organiser une rencontre avec Fena Gitu, une rappeuse kenyane, et Juls, un DJ ghanéen. Ce serait un trio de feu : l’Afrique d’aujourd’hui !  »

 

Qui t’a le plus influencée musicalement durant ton parcours?

J’ai grandi à Nairobi, la capitale du Kenya, où je vis toujours. Les grandes personnalités africaines et féministes ont forgé mon caractère : mes grands modèles sont des femmes de lutte et de courage, comme Maya Angelou ou Winnie Mandela, je me suis identifiée à elles et je partage leurs combats. Musicalement, j’ai toujours écouté des chanteuses venues du Continent, avec des légendes comme la sud-africaine Yvonne Chaka Chaka, mais les Etats-Unis ont parallèlement été une grande source d’inspiration. Lauryn Hill et Missy Elliott sont vraiment mes grandes favorites. Elles ont, comme moi, l’envie de mélanger ce groove afro de la voix à la modernité du rythme. J’aime l’idée de développer un son urbain issu de mes racines africaines.

Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait ?

Si je pouvais collaborer avec une artiste, ce serait Fena Gitu, une rappeuse kenyane « fenaménale » ! N’importe où dans le monde, ça m’irait, pourvu que je sois sur scène avec elle. Et, s’il était vivant, on pourrait la partager avec Prince ! On se retrouverait en pleine nature plutôt qu’à New York. On ferait une croisière et on jouerait ensemble par-delà les mers.… C’est un rêve fou ! En revanche, un souhait plus réaliste serait d’organiser une rencontre avec Fena et Juls, un DJ ghanéen. Ce serait un trio de feu : l’Afrique d’aujourd’hui ! On serait accueillis en résidence dans un château, et on finirait par un énorme concert… gratuit évidemment ! 

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs?

J’ai vu un concert incroyable de Oshun, un duo de chanteuses qui s’inspirent de la culture yoruba, dans un super club new yorkais dont j’ai oublié le nom. Il y avait une énergie dingue ! Mais pour ce qui est de ma terre-mère l’Afrique, je crois que si je devais conseiller un pays ce serait l’Ouganda : les gens écoutent du reggae et du dancehall importé, mais il y a aussi un vivier urbain, une vrai scène underground où se mêlent techno, électro et rap. Une musique qui regarde vers l’avenir.

Muthoni Drummer Queen, She (2018) / Yotanka Productions

3 questions à… Blick Bassy (Cameroun-France)

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Chanteur au look et à la douceur vocale singuliers, Blick Bassy fait partie de ces artistes qui vous caressent le coeur. Ses mélodies, proches d’une pluie d’été, libèrent la fraîcheur et la légèreté d’un orage à peine passé. Après Akö (2015), un bijou de délicatesse signé chez les défricheurs No Format, son dernier album, 1958, est un hommage à Ruben Um Nyobè, leader indépendantiste camerounais exécuté par des militaires français. Invité de choix de l’édition 2019 du festival Musiques Métisses, il a évoqué, à travers ses chansons et une rencontre autour de son livre Le Moabi cinéma (2016), les espoirs d’une jeunesse africaine assoiffée d’avenir et les contraintes imposées par un Occident dominant. À l’occasion de ce week-end ensoleillé, il nous a parlé de son parcours, sa quête de sens et ses coups de coeur du moment…

« Nous vivons dans une société où le standard pré-établi nous pousse à étouffer celui ou celle que nous sommes réellement. »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?

J’ai grandi au Cameroun, à Yaoundé. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui tenaient à ce que nous ayons une éducation traditionnelle. Nous étions vingt-et-un frères et soeurs, et nous passions toutes nos vacances au village : les garçons travaillaient les champs de plantain, et les filles, ceux d’arachide. Cela m’a amené à créer un vrai lien avec la terre qui m’abritait. Après mon bac, alors  que j’avais obtenu une bourse qui m’aurait permis d’aller étudier aux Etats-Unis, au Canada ou en Angleterre, j’ai décidé de rester au Cameroun pour y faire de la musique. J’ai créé mon premier groupe, Macase, avec lequel j’ai joué pendant près de dix ans, et qui a notamment reçu le prix RFI Musiques du Monde. Ensuite, j’ai décidé de venir m’installer en France où je séjourne depuis treize ans maintenant. C’est sans doute ma mère qui m’a d’abord transmis l’amour de la musique : elle chantait pour chaque événement, qu’il soit heureux ou malheureux. Artistiquement, les trois noms auxquels je pense spontanément sont Les Têtes Brûlées du Cameroun (un groupe mythique qui n’a malheureusement pas perduré), David Bowie et Prince, qui m’ont fait comprendre que ce que nous avons à donner, à échanger, c’est tout simplement la singularité de ce que nous sommes. Nous avons la chance, en tant qu’être humain, d’être unique, mais nous vivons dans une société où le standard pré-établi nous pousse à étouffer celui ou celle que nous sommes réellement. À partir du moment où l’on arrive à faire un travail sur soi au quotidien, à s’émanciper de tout cela, on commence enfin à vivre et à avancer un tout petit peu vers son couloir de liberté. Et je remercie ces grands artistes car ils m’ont permis de me comprendre et de me poser les vraies questions concernant la musique, mon métier. Je prends du plaisir sur scène mais ce n’est pas tout. J’essaie d’appliquer musicalement ce que je suis intimement : un Camerounais qui est né et a grandi au pays, qui vit en France depuis quelques années mais passe son temps à courir le  monde à la rencontre d’autres cultures, et qui essaie de redéfinir une perspective par rapport à tout cela. Si l’on y prête attention, on s’aperçoit par exemple qu’on ne trouve quasiment pas d’instrument percussif dans mes morceaux car pour moi le rythme peut être porté par une langue, un instrument harmonique ou mélodique. Cette touche musicale correspond à ma démarche personnelle de vie.
Mes goûts restent néanmoins assez éclectiques. En ce moment, j’écoute beaucoup RY X, une jeune chanteuse qui s’appelle Billie Eilish, James Blake, et quelques sons urbains venus du Nigéria dans le style de Flavour.

Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait ?

L’artiste avec lequel j’aurais aimé jouer c’est sans hésiter Michael Jackson, qui était une vedette incroyable et d’une grande sensibilité. Mais là où je rêve de jouer, et ça, c’est réalisable, c’est tout simplement dans tous ces villages du Cameroun où les gens n’ont même pas d’électricité, où ils n’ont jamais vu de concert de leur vie. Je voudrais faire des scènes là-bas pour leur faire ressentir  cette magie que peut distiller la musique.

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs?

Le Congo est un pays qui m’a laissé un souvenir musical intense. Les gens font de la musique avec uniquement l’énergie et les vibrations qui les habitent. À Kinshasa, la nuit, tu croises des gars dans la rue qui jouent divinement avec des instruments de bric et de broc, faits à la va-vite, et ce sont des moments d’une grande puissance. Le Brésil aussi est un lieu musical formidable. J’ai eu la  chance de participer à un carnaval et de jouer devant 200 000 personnes pendant sept jours avec des gens d’une générosité inimaginable, c’était une expérience vraiment dingue.

 

Blick Bassy, 1958 / No Format, Tôt ou Tard

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