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3 questions à… Henri Texier (jazz)

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Figure légendaire du jazz européen, Henri Texier doit beaucoup à sa contrebasse. Issu d’un milieu modeste, son amour pour la musique lui sera rendu au centuple : il a fait le tour du monde, enregistré plus d’une centaine de disques (dont une vingtaine sous son nom) et collaboré avec des pointures comme Bud Powell, Kenny Clarke, Don Cherry ou Dexter Gordon. Ses compagnons de route se nomment Aldo Romano et Louis Sclavis. Sa curiosité l’a porté vers des projets où la musique croisait le cinéma, la danse et le cirque. Du haut de ses 73 ans, au détour d’un souvenir de plus, il vous avoue pourtant, le regard bleu : « L’expérience ne change rien. Quand on a le trac, on a le trac. »

Ce soir de mars au Centre des bords de Marne, il jouait avec son Hope quartet pour la Biennale de Jazz, et j’étais envoyée spéciale Couleurs Jazz Digital Magazine pour la soirée. Avant l’événement, à l’abri dans un coin de la cafétéria, nous avons rejoint la bretagne et les pavés new-yorkais de sa jeunesse…

« J’ai joué au Newport Jazz Festival sur la même scène que James Brown et Miles Davis, à 24 ans… J’ai cessé d’être noir et américain ce jour-là. »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours? 

Je suis un fils d’émigrés bretons, ma famille est venue chercher du travail en région parisienne après la guerre. La plupart d’entre eux s’installaient à Montparnasse à l’époque, nous, nous  habitions aux Batignolles, un quartier très bobo aujourd‘hui mais qui était un repère d’ouvriers et de maghrébins. Mon père était salarié de la SNCF, il avait un logement de fonction dans cette gigantesque gare de marchandise qui allait de l’avenue de Clichy au boulevard Pereire. J’ai donc grandi dans un milieu très populaire. On avait le jazz dans l’oreille. J’en avais entendu à la radio avant même de savoir ce que c’était. Sidney Bechet était une immense vedette, autant qu’Edith Piaf ou Maurice Chevalier. À l’âge de 8 ans, ma mère m’a obligé à prendre des leçons de piano classique, cela ne me plaisait pas du tout. J’avais un oncle qui travaillait comme chauffeur de bus à la RATP, il jouait de la batterie dans les bals en Bretagne mais pianotait aussi. Un jour, comme je m’ennuyais avec mon instrument, il s’est mis à jouer l’une des formes les plus primitives du blues au piano : le boogie-woogie ! Depuis lors, je suis bluesman. Mes plus grandes découvertes musicales remontent à mes 12-13 ans, avec mon ami d’enfance Alain Tabar – Nouval. Il jouait de la guitare et de la clarinette, moi du piano : on est devenus accrocs à la musique ! J’ai troqué mon clavier pour une contrebasse vers l’âge de 16 ans, et un an plus tard je jouais déjà dans de grands clubs parisiens. Pourtant, ma plus grande claque a sans doute été dans les six premiers mois, lorsqu’on est parti jouer au Casino de Quiberon avec notre « orchestre étudiant ». En me baladant un dimanche matin, j’ai croisé le bagad de Lann-Bihoué (la formation traditionnelle bretonne). Tous les grands sonneurs bretons faisaient leur service militaire dans ce régiment, vers Lorient. Je ne connaissais pas du tout ce genre, j’étais fasciné : ça swinguait vraiment ! Pour la petite histoire, j’ai fait une composition à la fin des années 70 sur laquelle je joue de la bombarde en solo : le morceau a été repris par le bagad de Quimperlé, et le fameux bagad de Lann-Bihoué, qui l’a entendu, l’a intégré à son répertoire… La boucle était bouclée !

J’ai été également très imprégné par les musiques du monde tout au long de ma carrière. Dans les bistros du boulevard de Clichy, quand j’allais faire du baby-foot avec mes copains, on entendait des mélodies orientales, africaines. Jusqu’à mes 20 ans, le jazz me semblait être essentiellement le son des musiciens afro-américains. Puis on a commencé à découvrir Ravi Shankar, les Tambours du Burundi… c’est arrivé en même temps que A Night at the Village Vanguard de Sonny Rollins avec Elvin Jones, en même temps qu’Ornette Coleman… une explosion absolue ! J’ai appréhendé toutes ces musiques au même moment, elles font partie de ce que je suis maintenant.

Si tu pouvais aller n’importe où, dans quel lieu rêverais-tu de jouer? 

Je rêve de jouer, tout simplement. Où que ce soit. Je peux me dire aujourd’hui que j’aimerais faire une série de concerts en appartement avec 40 personnes, et avoir envie demain de rejouer dans la Grande Halle de la Villette ou au Théâtre du Châtelet. J’ai eu une vie bien remplie, je me suis retrouvé dans des circonstances très diverses. J’ai joué pour 2 personnes dans des caveaux minables et pour 70 000 spectateurs au Newport Jazz Festival. Le rêve que j’ai sans aucun doute réalisé pleinement, c’est de jouer aux Etats-Unis. Mon premier grand voyage s’est passé à l’époque de Phil Woods And His Europeans Rythm Machine, avec Daniel Humair et George Gruntz, on est allé jouer à Newport. Ça a été le plus grand festival jazz de tous les temps. En 68, il était à son apogée et commençait à accueillir des musiques comme le rock, la soul. J’y ai vu des musiciens incroyables : James Brown, Miles Davis, Herbie Hancock… ils y étaient tous, et j’ai joué sur la même scène qu’eux, à 24 ans ! En revenant, j’ai pris un coup de vieux terrible. Je ne pouvais plus être un gamin en admiration absolue devant les musiciens de jazz américain. J’ai cessé d’être noir et américain ce jour-là. Avant, je m’y croyais vraiment. L’Amérique n’avait pourtant jamais été un fantasme pour moi. Mais je rêvais d’aller jouer à New York et à Los Angeles avec les musiciens de la côte Ouest qui étaient mes idoles… Là-bas j’ai fait des jam sessions avec certains d’entre eux : j’ai mis un moment à m’en remettre !

Donc de « rêve » à proprement parler je n’en ai plus, ou j’en ai tout le temps. Honnêtement, ça me fait rêver de jouer ce soir au Perreux-sur-marne !

As-tu un lieu musical coup de coeur à faire découvrir à nos lecteurs? 

Ce sont plus les musiciens qui m’intéressent que les lieux en eux-mêmes. J’ai rencontré de très mauvais jazzmen à New York et découvert des artistes hors pair au Ghana au coin d’une rue… Si on peut voyager, il faut aller à Marrakech écouter les vrais musiciens gnawa : ça envoie ! Sinon, à Paris, l’un des lieux qui me semble le plus intéressant est Le Triton, aux Lilas. On peut y découvrir une large palette de musiques actuelles. C’est un lieu inventé, qui n’a rien d’institutionnel, un endroit culturel au vrai sens du terme. On y voit de la danse, on y entend de la musique, on y écoute de la poésie… c’est un écho du monde.

Henri Texier, dernier album en quintet Sand woman ; 2018, Label Bleu
© Jean-Baptiste Millot
3 questions à… Mélissa Laveaux

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Avec son dernier opus Radyo Siwèl paru chez l’excellent label No Format, la chanteuse canadienne Mélissa Laveaux puise aux sources de son Haïti originelle en ravivant des joyaux oubliés de ce patrimoine. Des chants de résistance, des mélodies caribéennes, qui explorent la période coloniale américaine du début du XXème siècle, avec une lumière et une profondeur contagieuses. 
À l’issue d’un showcase de présentation à la Fnac, nous avons échangé avec cette songwriter aussi audacieuse que pétillante.  

« Entre moi et le Ghana, c’est une petite histoire d’amour… C’est le premier pays où les gens ont cru que je leur appartenais. »

 

Qui t’a le plus influencée musicalement durant ton parcours? 

Les chanteuse afro-américaines Aretha Franklin et Nina Simone. Il y a des performances de chacune d’entre elles où on les voit entièrement consumées par leur musique. Je pense notamment à un concert suédois (rare) d’Aretha où elle chante « Dr. Feelgood », et où on sent qu’elle donne vraiment tout. Elle joue beaucoup avec les nuances, il y a du relief. Et il y a la voix…

Si tu pouvais aller n’importe où, dans quel lieu rêverais-tu de jouer? 

Je rêverais de jouer à Fuji Rock, parce que ce festival est génial, et surtout parce que j’adore jouer au Japon. Les journalistes là-bas semblent toujours plus pointus, ils sont spécialisés dans un genre musical bien précis. De façon générale, les japonais écoutent et connaissent énormément de styles de musiques différents. J’ai toujours des conversations folles sur le whisky et les fantômes avec eux ! J’aimerais aussi aller au Chale Wote à Accra, au Ghana. C’est un festival artistique multi-disciplinaire incroyable où les artistes se rencontrent et produisent des choses extraordinaires sur des périodes très courtes. Ajoutons à ça qu’entre moi et le Ghana, c’est une petite histoire d’amour… C’est le premier pays où les gens ont cru que je leur appartenais.

As-tu un lieu musical coup de coeur à faire découvrir à nos lecteurs? 

Sans hésiter, un événement me vient à l’esprit : le Blockorama de Toronto qui a lieu chaque été lors de la Gay Pride. C’est le cortège afro-descendants de la marche de la fierté LGBTQ qui organise cette block party exceptionnelle. On y trouve d’excellents DJs, l’atmosphère afro-antillaise du carnaval de Notting Hill, la Block Party de Dave Chappelle, et de la super cuisine ! Je suis toujours aux anges.

Mélissa Laveaux, Radyo Siwèl; 2018, No Format
© Romain Staros Staropoli
3 questions à… Seun Kuti (Afro-beat)

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Benjamin du roi de l’afro-beat Fela Anikulapo Kuti, le félin Seun Kuti est en tournée avec le groupe mythique de son père, Egypt 80, pour son nouvel album Black times, un disque contestataire et bourré d’énergie. Avant son passage au Bataclan, nous avons pu le croiser un dimanche au Mob Hôtel après un concert intimiste à l’atmosphère caribéenne… 

« J’adore les endroits où l’on trouve des communautés latino-américaines. Ce sont les adresses idéales pour découvrir une musique libre. »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?

J’ai grandi à Lagos, au Nigeria, dans la maison de mon père qu’il considérait comme une république indépendante : Kalakuta Republik. J’ai toujours été entouré de musique, il a sans aucun doute été ma plus grande influence. On écoutait essentiellement de la musique africaine chez nous. J’ai, depuis, toujours aimé la musique des diasporas.

Si tu pouvais aller n’importe où, dans quel lieu rêverais-tu de jouer?

Je voudrais jouer dans mon propre club. J’ai l’intention d’en construire un à Lagos. C’est pour l’instant un lieu imaginaire mais c’est le prochain investissement immobilier que je ferai. J’ai hâte de concrétiser ce projet.

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs? 

J’adore les endroits où l’on trouve des communautés latino-américaines. Que ce soit à Paris ou à New York, ce sont toujours les lieux plus festifs, on y mange bien, la musique est excellente : salsa, samba, latin-jazz, merengue… J’ai même entendu du tango une fois à New York, vers  Lower East Side. Ce sont les adresses idéales pour découvrir une musique libre.

Seun Kuti & Egypt 80, Black Times; 2018, Strut
3 questions à… Nancy Vieira (Cap-Vert)

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

De retour avec son cinquième album, la chanteuse capverdienne Nancy Vieira évoque tout en douceur sa terre natale et les vents contraires qui l’ont chavirée grâce à des compositions issues du répertoire classique de l’archipel. Manhã Florida n’oublie pas le lien qui unit désormais la France et le Cap-Vert puisqu’il est produit par Teofilo Chantre et que la jolie « Les lendemains de carnaval » est chantée en duo avec Raphaële Lannadère. De sa voix solaire et apaisante, elle a conté à Hit the road ses aspirations d’hier et et de demain.

« L’essor de la musique capverdienne a commencé ici, en France, à travers la figure de Césaria Evora. »

 

Qui t’a le plus influencée musicalement durant ton parcours?

Je suis arrivée quelques mois après ma naissance à Praia, au Cap-Vert, où j’ai grandi jusqu’à mes 10 ans, puis nous sommes allés à Mindelo, sur l’île de Saõ Vicente, avant de rejoindre le Portugal à mon adolescence. J’ai baigné dans la musique, chez moi tout le monde aimait chanter. Mon père est un vrai mélomane, il jouait  de la guitare, du violon, du piano. Ma tante Valda chantait dans les réunions de familles ou entre amis, elle entonnait des mornas, des chansons brésilienne. À l’époque, je ne pouvais pas imaginer que cet environnement aurait une réelle influence sur ma vie. C’est seulement aujourd’hui que je comprends que mon chemin était tout tracé : la musique est dans mon sang. Lorsque j’étais étudiante à Lisbonne, je fréquentais un camarade qui faisait partie d’un petit groupe. Il avait décidé de participer à un concours de chant, et je l’ai accompagné ce soir-là après les cours. J’étais de nature timide ce qui m’empêchait de chanter en public, mais il savait que j’aimais ça. Un des organisateurs m’a proposé de faire partie du concours le soir-même. J’ai accepté, comme pour me lancer un défi, mais je n’avais rien préparé. J’ai alors interprété une célèbre morna capverdienne de B.Leza, Lua Nha Testemunha, accompagnée d’une guitare. J’ai gagné la finale et le prix du concours qui allait avec : l’enregistrement de mon premier album. C’est comme ça qu’est née ma carrière de chanteuse.
Mes étoiles polaires ont toujours été les anciens de la musique traditionnelle capverdienne, comme Bana, et les artistes brésiliens comme Maria Bethânia ou Caetano Veloso.

Si tu pouvais aller n’importe où, dans quel lieu rêverais-tu de jouer?

J’ai eu tellement de surprises en jouant de par le monde… J’ai été au Japon, en Russie, dans des endroits insolites, j’ai joué devant des peuples si étrangers à moi et pourtant si réceptifs à ma musique ! Je n’ai jamais joué à Rio, ce serait un moment fort car la musique brésilienne a eu une grande influence sur la musique capverdienne. Mais je rêve surtout de jouer dans une grande salle à Paris car c’est l’endroit où notre musique a reçu le plus d’écho. Tout a commencé ici, en France, à travers la figure de Césaria Evora. Le public français l’a accueillie avec un amour extrême. Elle a ouvert la voie aux autres artistes capverdiens. Donc la France est comme une deuxième maison pour moi.

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs? 

Il y a un club formidable à connaître à Lisbonne : le B. Leza, nom d’artiste du grand poète et compositeur capverdien Francisco Xavier da Cruz. Ce lieu est né comme un point de rendez-vous  où les musiciens capverdiens se retrouvaient pour jouer, et c’est devenu un club mythique. Adolescente, j’y ai découvert de grands musiciens : Toy Vieira, Dany Silva, Tito Paris, Maria Alice, Boy Ge Mendes, Biús, Djim Job… et encore beaucoup d’autres ! Je n’y croyais pas : on pouvait presque les toucher ! Des années plus tard, j’ai eu la chance d’y chanter moi aussi. En  décembre dernier, le club a fêté ses 22 ans d’existence. C’est un lieu incontournable pour écouter de la bonne musique à Lisbonne.

https://www.youtube.com/watch?v=nHTJmRRQcUY

Nancy Vieira, Manhã Florida; 2018, Harmonia / Lusafrica
© N’Krumah Lawson Daku
3 questions à… Lionel Suarez

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

En concert le 14 avril prochain au New Morning, le Quarteto Gardel a partagé le plateau avec le légendaire contrebassiste Henri Texier à l’occasion de la saison jazz du Centre des Bords de Marne. Hit the road a la chance d’avoir pu recueillir les confidences de chacun des quatre complices qui le composent. 
Volet 1 : Lionel Suarez…

Enfant du bal, l’accordéoniste Lionel Suarez aime porter son instrument aux quatre vents et le faire valser sur des airs métissés qu’il improvise en chemin. Son projet Quarteto Gardel, qu’il promène avec trois musiciens d’exception (Vincent Ségal, Minino Garay et Airelle Besson), élargit l’horizon en proposant un hommage au tanguero Carlos Gardel dont le parfum d’ailleurs convoque des paysages ardents et inexplorés.  

« Les préjugés sur l’accordéon sont très français. Dès qu’on sort du territoire, on sent un vent de liberté souffler sur l’instrument. »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?

Ce sont les rencontres qui ont constitué mon style. J’ai grandi à Rodez, dans l’Aveyron, mon père et mon grand-père jouaient de l’accordéon. Je suis un enfant du bal. Il n’y avait pas tellement de disques à la maison, je connaissais surtout la musique que jouait mon père. J’ai commencé mon enseignement du piano et de l’accordéon à l’âge de 8 ans, et c’est seulement vers 14 ans  que je me suis mis à écouter de la musique enregistrée, à l’époque où je grattais la basse avec des copains dans des garages. Plus tard, j’ai rencontré un musicien qui m’a fait découvrir la chanson française. Ensemble, on a repris tous les grands auteurs : Léo Ferré, Georges Brassens, Boris Vian, Jacques Brel… Puis j’ai découvert l’univers du jazz manouche et l’improvisation. J’ai compris qu’on pouvait voyager avec un instrument. J’ai alors fait la connaissance de JeHaN, un chanteur toulousain avec lequel je joue de nouveau aujourd’hui, dix-sept ans après notre rencontre. Grâce à lui, j’ai travaillé avec Claude Nougaro, ce qui m’a permis de rencontrer d’autres musiciens, comme André Minvielle avec lequel j’ai collaboré pendant dix ans. Lorsque j’ai déménagé à Paris avec mon accordéon, je ne me sentais spécialiste de rien en particulier. J’étais dans un processus d’apprentissage et content de voir autre chose. À Paris, les cultures se croisent, tu peux improviser avec des argentins, des brésiliens… j’ai toujours aimé le fait de passer d’un univers à l’autre, cette variété de langages. Bernard Dimey disait : « Je vais de l’élite à la pègre sans me plaindre ni me vanter. ».  Cette phrase a toujours eu un fort écho en moi.

Si tu pouvais aller n’importe où, dans quel lieu rêverais-tu de jouer?

Je n’ai pas de réels fantasmes. En revanche, j’ai des envies, et actuellement c’est celle de concrétiser un projet pédagogique dans lequel je me suis lancé avec un ami, Jean-Luc Amestoy (accordéoniste toulousain qui a travaillé notamment avec Zebda), couplé avec un projet de documentaire. L’idée est de cheminer sur la route de l’accordéon, pour essayer de comprendre pourquoi cet instrument est devenu si populaire. Le principe de l’accordéon est né en Chine, aujourd’hui c’est le pays où on en fabrique le plus au monde. Mais j’ai découvert aussi qu’il y avait  des Inuits et des Pygmées qui en jouaient. On entend résonner l’accordéon en Louisiane, au Mexique ou au Brésil. C’est passionnant. J’aime l’idée de créer un parcours avec des gens à rencontrer, c’est le vrai moteur du projet. Au Vietnam, quelqu’un m’a expliqué qu’on appelait l’accordéon « le piano de la joie », alors qu’en France il est dénommé « le piano du pauvre ». C’est un instrument très respecté car les anciens en jouaient pendant la guerre du Vietnam. Depuis, il a disparu; les instruments sont très chers, il n’y a pas de professeurs pour faire perdurer la tradition. C’est pareil en Jamaïque ou en Martinique. Et j’ai envie de creuser un peu cette histoire. Les préjugés sur l’accordéon sont très français. Dès qu’on sort du territoire, on sent un vent de liberté souffler sur l’instrument. Je travaille souvent avec le public scolaire, et j’ai remarqué que pour la première fois depuis bien longtemps les enfants n’ont aucun préjugé quant à cet instrument : ils ne le connaissent pas. Ils ne l’associent pas à l’image d’Yvette Horner. Je n’ai rien contre d’ailleurs, cette période a existé et ça ne me dérange pas. Mais j’apprécie le fait qu’on se retrouve devant de nouvelles générations qui n’ont aucun a priori. L’accordéon a été popularisé pendant la deuxième moitié du XIXème siècle, c’est un instrument très jeune dans l’histoire de la musique, et c’est l’un des seuls instruments polyphoniques qui a tout à jouer. On n’est au début de quelque chose, à l’instar du piano au XVIIème siècle, lorsque les fabricants adaptaient la facture aux artistes. C’est une vraie chance. Aujourd’hui, lorsque l’on est guitariste ou saxophoniste, on sait qu’on est l’héritier de John Coltrane ou Jimi Hendrix : c’est effrayant pour un jeune musicien ! Alors que lorsque pour un accordéoniste, tout reste à inventer. Donc cet instrument, qui souffre d’une image ringarde, a encore tout à construire, et sera peut-être le plus « in » d’ici quelques années !

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs? 

New York est une ville fantastique pour un musicien, elle offre la possibilité de barouder toute la nuit, d’aller écouter des musiciens aussi inconnus qu’excellents. Je me souviens d’un club, le Fat Cat, qui ressemble à un hangar avec des baby-foot, des ping-pongs… Au fond sont disposés de vieux canapés délabrés qui font office d’accueil du public, et un groupe est là, qui joue. On y allait souvent avec un ami vers 2h du matin, et on y a vu des concert dingues !

Lionel Suarez, Quarteto Gardel; 2018, Bretelles Prod / L’autre distribution
© Caroline Pottier
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